Les bonnes âmes s'auto et s'entre-congratulent du fait qu'elles ont participé à ce que le vote des républicains, ou du moins celui d'une partie d'entre eux, ait fait échapper, pour le moment, notre pays au danger lepénien.
Après tout, si cela les rassure, elles auront gagné quelque temps de sérénité politique, mais c'est méconnaître totalement ce parti.

Ses dirigeants ne souhaitent absolument pas arriver au pouvoir maintenant car ils savent très bien qu'ils n'auraient pas les moyens de l'exercer et que la chute serait rude. Cela explique peut-être la prestation, volontairement mauvaise, de la candidate du FN lors du débat de second tour de la présidentielle.

Ce serait une erreur de sous-estimer l'adversaire, et les Le Pen, surtout le père, sont loin d'être bêtes et incultes; ce dernier connaît particulièrement l'histoire de ses défunts amis et mentors allemands, italiens, espagnols et portugais.

Remémorons-nous l'histoire des régimes autoritaires, antirépublicains, nazis et fascistes du 20ème siècle.
Pour arriver au pouvoir, les quatre dictateurs européens avaient disposé d'atouts importants, indispensables, que le FN ne possède pas, pas encore...
Ils pouvaient tous s'appuyer sur de puissantes milices à leur dévotion : Hitler sur les SA et les SS, Mussolini sur les " chemises noires", Franco sur la phalange et Salazar sur sa police politique, la PUDE, créée en 1933, l'année de son arrivée au pouvoir suprême, avec l'aide de Hitler et de Mussolini, et qui deviendra la PIDE, de sinistre mémoire, en 1945.
De plus, ils avaient des alliés nombreux et forts dans l'armée (cf. la guerre civile espagnole), dans la société civile et les puissances économiques et financières, sans parler de l'église catholique dont on connaît l'attitude d'alors, en particulier en Italie, en Espagne et au Portugal.

Le FN, en France, actuellement, ne dispose pas de ces moyens dans des proportions suffisantes pour exercer le pouvoir dans des conditions permettant la pérennité de sa main-mise sur le pays.
Pour autant, il ne désespère pas que ce soit le cas un jour, qu'il espère proche.
Des signes peuvent lui sembler encourageants : l'église catholique n'est plus aussi unanime à le condamner et une partie de la droite, dite "républicaine", commence à se laisser séduire.

Tout ceci fait que, si le FN veut bien du pouvoir d'état, il ne se lancera vraiment à sa conquête que lorsqu'il aura les moyens de l'exercer pleinement. Cela passe par la séduction de gens compétents et nombreux de la classe politico-administrative de haut niveau sans la coopération ou la neutralité de laquelle il lui sera impossible de faire quoi que ce soit.
Il donnera également la priorité à son implantation locale, dans les mairies, les conseils départementaux et régionaux et tachera de faire élire le plus grand nombre possible de parlementaires.
Il lui faudra aussi assainir l'encadrement de sa structure partisane, car nombre de ses responsables locaux et même nationaux ont un passé - et un présent ... - disons, douteux, et pas seulement sur le plan politique...

Arrêtons donc de nous réjouir naïvement d'avoir échappé à un danger qui n'existait pas le 7 mai mais qui pourrait se préparer pour des lendemains qui ne chanteront pas forcément pour le plus grand nombre d'entre nous.